Malgré la péridurale, j’ai l’impression d’avoir un parpaing coincé dans le bassin. "Ça" ne passera jamais. J’ai beau pousser, souffler, respirer dans le masque à oxygène, et pousser encore. Je vais tourner de l’œil. Si ça ne passe pas, c’est donc moi qui vais casser ?
On a beau se blesser tout au long de la vie, s’écorcher les genoux et le cœur, on ne sait rien de la souffrance. Et sitôt dépassées, on archive ces heures qui vous ont arraché des larmes et des cris.
On le répète à l’envi : de la grossesse et de la naissance, paraît-il qu’on ne garde que les meilleurs moments. Moi, je n’ai pas oublié les douleurs de l’accouchement, un jour blafard de janvier.
« À chaque contraction, imaginez que vous surfez une vague », m'avait-on conseillé lors des cours de préparation. Forte de cette métaphore maritime, je sors ma planche de bodyboard et je guette le rouleau. Sauf qu’à la troisième contraction, je me retrouve au pied d’un mur d’eau de 4 mètres de haut. Titanesque. Infranchissable. Une déferlante qui menace de tout emporter. Mon frêle esquif sur les récifs. Ma planche de salut, la péridurale.
Et pourtant, j’en ai entendu plus d’une qui, la bouche pleine de fleurs, vantant les joies supposées de l’accouchement "au naturel", voulaient tenter sans anesthésie ce voyage au bout de la douleur.
Et bien : bon courage.
Personnellement, j’ai payé mon obole à cette ardoise laissée par Eve. Des douleurs de l’enfantement, j’ai eu ma dose et de quoi boire la tasse. En terme d’adrénaline, je préfère le saut à l’élastique. Les vertiges de la drogue ou du sexe.
Et puis les heures ont fini par épuiser les tourments.
Chaos. Accélération. Confusion. Dans un dernier assaut, les vagues se sont calmées, laissant place à une tempête, d’émotions cette fois. « C’est un très joli parpaing », a dit la sage-femme.