Impressions d'une chômeuse (09/03/2004)
Une fille montée sur talons aiguilles. Pas des chaussures de bourgeoise, perchée sur pics à glace, mais de lourds talons de prolo qui voudrait s’élever dans les classes sociales. À côté, un jeune en jogging et cheveux gominés. Plus loin, un mec standard, mais pas rasé du jour. Il y a du laisser-aller à l’ANPE. A l’accueil, un binoclard rougeaud essaie désespérément d’expliquer son cas : « J’ai été radié parce que j’étais arrivé en fin de droits fin décembre… » Va voir à l’Assedic si tu y es.
Une conseillère promène sa culotte de cheval entre les panneaux d’affichage. Les murs d’annonces sont des oriflammes jaunes et bleues. Couleurs pastel obligent, il faut adoucir les mœurs. On devient vite nerveux à l’ANPE.
Chacun est appelé par son conseiller et maître attitré. Il ne reste plus que moi, qui écris sur un bout d’enveloppe kraft. Une file d’attente gesticule devant le conseiller-guichet qui filtre les gueux désireux de ne pas mourir de faim, inutiles. L’empire du baragouinage et de l’incompréhension. Rougeauds ou non, voire violacés, les demandeurs d’emplois se justifient, ont tout faux, se font recadrer par le conseiller filtreur. Il est de ces demi-dieux qui vous rabaissent à une espèce de sous-hommes mal évolués. Et moi il faut que je change d’enveloppe kraft.
En bas, c’est le QG. Les conseillères pipelettes s’en donnent à cœur joie. « Ben dis-donc, ma cocotte ?! ». Qu’est-ce qu’elle a la cocotte ? Elle a un travail. Nous, les cuculs, concons, cocus de la société, nous n’en avons pas. Voilà qui nous transforment en bêtes ?
Une fille famélique est venue grossir le rang des « prêts à l’emploi ». « Mais c’est un rendez-vous ou une convocation ? C’est pas pareil ! », s’énerve le conseiller guichet. Malin, le conseiller ! Devant tant de froideur, les chômeurs bafouillent, se liquéfient, renoncent. Encore une rencontre qui se termine sur un malentendu. Dommage. Il en perd, des copains, le portier.
Ma conseillère traînasse et me fait languir. Quelle incorrigible fonctionnaire, celle-là ! Hinhin. Il me vient des rictus de chien cynique sur les lèvres. Ça rend caustique, le chômage. Bon tu m’appelles ? Ouah ouah, je suis là ! Bientôt je descendrai dans le blockhaus des nantis du marché de l’emploi - ceux qui sont derrière les étalages, pas devant - et tu me diras : « Il ne faut pas désespérer, je ne m’inquiète pas pour vous ». Moi non plus, je ne m’inquiète pas pour toi, tu sais. Mais moi je mange des pâtes tous les jours. Pas toi.